Desmond Tutu aura marqué l'histoire de son pays et de l'Afrique.

Desmond Tutu est décédé ce dimanche 26 décembre à l’âge de 90 ans, a annoncé le président sud-africain Cyril Ramaphosa. L’ancien archevêque du Cap, héros de lutte anti-apartheid et Prix Nobel de la paix, a incarné la « conscience » de l’Afrique du Sud. Sa personnalité charismatique, son combat contre l’apartheid et son plaidoyer en faveur de la réconciliation raciale en ont fait l’une des personnalités les plus populaires du pays, presque à l’égal de Mandela.

L’Archevêque Desmond Tutu a été une identité remarquable de son pays.

« Mpilo » – son nom africain, qui signifie « vie » – était d’une vitalité débordante. Il pouvait autant s’enflammer lors de ses sermons contre le régime d’apartheid qu’utiliser son sens de l’humour et son talent d’acteur pour faire plier de rire son auditoire. En parlant de son cancer de la prostate, en 2006, il expliquait ainsi au Sunday Times que « son traitement vise à le geler pour l’éliminer. Mais il ne gèle pas tout autour car je veux célébrer mes noces d’or avec style !« .

Né en 1931, fils d’un enseignant et d’une femme de ménage, Tutu est influencé par un pasteur militant d’origine anglaise, Trevor Huddleston, qu’il sert à l’autel. Il est touché que ce Blanc lui rende souvent visite quand il contracte la tuberculose à 16 ans et reste vingt mois cloîtré à l’hôpital. Elève brillant, Tutu est accepté en médecine. Mais le minerval est trop élevé et il doit se rabattre sur l’enseignement. A l’université, il invite Nelson Mandela à un débat. Ils ne reverront qu’en 1990, quand ce dernier choisit de passer sa première nuit chez Tutu, au Cap, à sa sortie de prison.

« Ils peuvent tout essayer mais rien ne me fera taire !« 

Devenu instituteur en 1953, Tutu se marie avec une collègue, Leah : tous deux démissionnent très vite pour protester contre l’enseignement au rabais imposé aux Noirs par le régime d’apartheid. Inspiré par Huddleston, il troque la craie pour l’encensoir et devient, en 1961, le premier pasteur noir anglican du pays. Après une maîtrise de théologie à Londres en 1966, il prend le poste d’aumônier de l’université noire de Fort Hare où il découvre le « mouvement de la conscience noire », développé par Steve Biko, et la « théologie de la libération ». Son engagement politique commence ces années-là.

Après un nouveau séjour en Angleterre (1972-75) et des voyages en Afrique (notamment au Zaïre où il est atterré par le régime de Mobutu), sa trajectoire brillante fait la « une » des journaux : il est le premier Noir nommé doyen du diocèse de Johannesburg (1975), puis évêque (1988-86), et enfin, en tant qu’archevêque du Cap (1986-96), chef de l’Eglise anglicane d’Afrique du Sud. Il est aussi le premier secrétaire général noir du Conseil œcuménique sud-africain (1978-85).

Du haut de ses chaires, il dénonce le régime d’apartheid « parfois de manière abrupte« , comme il le dira plus tard. Il reçoit des menaces de mort, son passeport est confisqué mais sa robe pastorale et sa renommée croissante le protègent du pire. « Ils peuvent tout essayer mais rien ne me fera taire !« , lance-t-il vibrant, lors d’un sermon à la cathédrale de Johannesburg.

Desmond Tutu ici en compagnie de Nelson Mandela.

De nombreux Blancs, même progressistes, apprécient peu ses appels à des sanctions internationales. Dénoncé comme « ennemi public numéro 1 » par le président Pieter Willem Botha, il confiera dans une interview au Mail and Guardian : « J’ai beaucoup souffert d’être considéré comme un ogre par les Blancs« .

Un « leader par défaut » du mouvement anti-apartehid

En 1983, Tutu parraine le lancement du « Front démocratique uni », un mouvement de masse anti-apartheid. « Comme la plupart des leaders étaient absents (en prison ou en exil, ndlr), je suis devenu un leader par défaut, dit-il, faussement modeste. Et j’aime les feux de la rampe !« . Vêtu de sa fameuse casquette noire, ce père de quatre enfants n’hésite pas à prendre la tête des manifestations. Il conduit aussi les funérailles des victimes du régime.

« Souvent, il jouait le rôle de médiateur entre les autorités et les jeunes militants« , se souvient le journaliste Barney Mtombothi. Tutu dénonce tout autant la répression policière que les dérives du mouvement anti-apartheid. Il s’interpose pour sauver une victime du supplice du « collier » (le pneu enflammé réservé aux Noirs suspectés de collaboration). En 1984, c’est la consécration quand il reçoit le Prix Nobel de la paix.

La commission vérité et réconciliation

Les premières élections démocratiques en 1994 lui apportent un nouveau rôle : bâtir la « nation arc-en-ciel », un slogan qu’il a lui-même inventé. Tutu préside la « commission vérité et réconciliation » (1995-98), chargée de faire la lumière sur les atrocités du passé. La tournure chrétienne qu’il insuffle aux audiences publiques, mais aussi son style autoritaire, ne sont pas du goût de tous. Certains membres de la commission claquent la porte.

A son grand dépit, Tutu ne réussit pas à convaincre, ni les dirigeants du régime d’apartheid (Pieter W. Botha et Frederick de Klerk), ni le président Thabo Mbeki de reconnaître leur responsabilité dans les violations des droits de l’Homme commises de part et d’autre pendant les années de lutte sous l’apartheid. « Quand l’ANC a voulu interdire la sortie du rapport, ce fut un moment très difficile pour nous tous, se rappelle Yasmin Sooka, l’un des membres de la Commission. Tutu nous a vraiment soutenus. Le petit homme n’a jamais eu peur de tenir tête aux grands de ce monde.« 

Par la suite, Tutu dénonce les turpitudes du parti au pouvoir, le Congrès national africain (ANC) et en particulier celles du très corrompu ex-président Jacob Zuma. En 2011, il laisse exploser sa colère, quand son ami, le Dalaï-Lama, invité à fêter son 80e anniversaire au Cap, est privé de visa. Le gouvernement de l’ANC est « pire que l’apartheid !« , vitupère-t-il lors d’une conférence de presse. « M. Zuma, je vous préviens […]. Un jour, nous prierons pour la défaite de l’ANC« . En guise de rétorsion, Tutu est privé de parole lors des funérailles de son ami, Mandela, en 2013.

Toute sa vie, le Prix Nobel de la paix n’a cessé de prendre parti, pour dénoncer l’homophobie, l’invasion de l’Irak, la répression contre les Palestiniens et bien d’autres causes. « Vous rêvez d’un monde [meilleur] ?, lance-t-il aux étudiants lors d’une conférence à l’université Columbia en 2014. Alors, je vous en prie, ne vous laissez pas contaminer par le cynisme.« 

Valérie Hirsch

Source : rtbf.be

A suivre: les réactions des dirigeants du Monde entier

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici