Pilules abortives vendues au marché noir, fausses opérations de l’appendicite et tuto de chute dans les escaliers. Des milliers de femmes redoublent de stratagèmes pour avorter en toute illégalité.

« Quelques heures après avoir pris les médicaments pour avorter, j’ai commencé à perdre beaucoup plus de sang que ce qui était prévu. J’étais pliée en deux, j’ai cru que j’allais mourir. Je ne savais pas quoi faire parce que si j’allais à l’hôpital ils allaient se rendre compte que j’avais avorté », raconte Iris*, jeune Chilienne de 22 ans. Dans son pays, attendre un enfant n’est pas toujours un heureux événement.

Actuellement au Chili, la loi ne permet le recours à l’IVG que dans trois situations seulement : en cas de risque pour la vie de la femme, de viol ou de non-viabilité du fœtus. Ce recours partiel a été promulgué en août 2017, par l’ancienne présidente socialiste Michelle Bachelet, juste avant la fin de son second mandat et le retour de la droite au pouvoir. Un droit limité et presque théorique, beaucoup de médecins invoquant l’objection de conscience pour refuser catégoriquement l’avortement. Quelle que soit la raison de la demande.

Après avoir fait un malaise dans le métro, Iris a fait un examen chez un gynécologue qui lui a confirmé sa grossesse. « Ce qui est horrible c’est que tu ne peux dire à personne que tu veux avorter. Tout le monde est très heureux pour toi. On te fait écouter le cœur du bébé et c’est quelque chose de très choquant pour quelqu’un qui veut avorter.» Iris a dû se débrouiller seule pour trouver un vendeur de pilules abortives via Whatsapp.

Sur le marché noir, deux types de médicaments sont proposés aux femmes qui veulent avorter. Du Misoprostol, la pilule abortive utilisée partout dans le monde à prendre par voie orale et différents ovules à utiliser par voie vaginale. Pour les pilules, il faut compter la somme folle d’environ 180 000 CLP$, l’équivalent de 200 euros, la moitié du Smic Chilien. Les ovules à utiliser par voie vaginale sont moins chers mais plus dangereux en cas de complications médicales. « Ça coûte 100 euros mais si on se retrouve à l’hôpital, les médecins verront que l’on a essayé d’avorter et appelleront la police », raconte Iris.

« La police attend à la sortie de l’hôpital ces femmes devenues criminelles pour avoir avorté »

Ces avortements improvisés amènent à de nombreuses hospitalisations. Après avoir pris à intervalles réguliers les pilules abortives pendant 24 heures, Iris a commencé à perdre du sang. Beaucoup de sang, plus que pour un avortement normal. Au bout de plusieurs heures de souffrance, son compagnon l’a forcée à aller à l’hôpital. La jeune Chilienne était terrifiée à l’idée d’être arrêtée. Régulièrement, des femmes se retrouvent hospitalisées après avoir avorté dans des conditions similaires. Certaines sont repérées par les médecins qui alertent les autorités. La police attend à la sortie de l’hôpital ces femmes devenues criminelles pour avoir avorté.

Iris a fait une hémorragie ainsi qu’une infection. Une partie de l’embryon ne s’est pas décroché et est resté en elle. Des souvenirs toujours très douloureux pour la jeune femme. « On m’a interrogé sur les raisons de mes saignements, j’ai dû prétendre que je faisais une fausse couche que je ne savais pas pourquoi. Personne ne nous soutient, c’est super dur. » Une fois sortie de l’hôpital, elle a dû faire face à une dépression. Faute de soutien psychologique. « Je pleurais souvent, j’avais peur de ne plus jamais pouvoir avoir d’enfant. Tous les 7 du mois, la date à laquelle j’étais supposée accoucher, je calculais de combien de mois j’aurais été enceinte. »

Dans la plupart des pays où l’avortement est pratiqué un accompagnement psychologique pendant et après l’acte est proposé pour gérer l’avortement. Bien entendu, lorsqu’il est illégal cette question ne se pose pas. Avec le temps et le soutien de quelques amis, la jeune femme a fini par traverser cette épreuve difficile. Malgré ces nombreuses hospitalisations, la situation se serait améliorée selon plusieurs associations féministes que nous avons interrogées qui affirment que les décès suite à un avortement sont en baisse. Il y a quelques années encore, l’avortement était la première cause de décès maternel chez les femmes.

« Mon contact se les procure au Planning familial et mes les renvoie. Je lui donne une bonne partie de mes bénéfices, c’est pour ça que je ne peux pas baisser le prix »

Alors que quelques associations féministes proposent leur aide aux Chiliennes, beaucoup de femmes continuent à avorter le plus discrètement possible. En achetant des médicaments, comme Iris, lorsqu’elles peuvent se le permettre. Au vu du prix de ces petites pilules, l’avortement est devenu un très fructueux business. Charline* est une Française installée au Chili depuis une dizaine d’années. Elle vend depuis trois ans des pilules abortives pour plus de 200 euros. Grâce à un contact, elle se les fait livrer depuis la France et les revend à celles qui ont les moyens de lui racheter. « Mon contact se les procure au Planning familial et mes les renvoie. Je lui donne une bonne partie de mes bénéfices, c’est pour ça que je ne peux pas baisser le prix. Et puis je m’adapte aux tarifs des autres vendeurs. Il y a une demande et je participe à l’offre » raconte-t-elle. On est loin de l’entraide féminine prônée par les associations chiliennes. Charline affirme avoir en moyenne trois clientes par semaine. De quoi lui faire environ 2 400 euros par mois, une somme rondelette au Chili.

Des pilules chères payées pour toutes ces femmes qui la prennent mal dosées et se retrouvent à faire une hémorragie à la maison. La seule indication donnée par les vendeurs pour éviter un grave accident : être accompagné durant et après la prise de médicaments pendant 24 heures. Mais il est parfois compliqué de trouver une personne de confiance au Chili qui approuvera un avortement, encore très tabou dans le pays. Certaines font donc appel à des doulas. Comme Meghan Markle, de plus en plus de femmes choisissent d’être accompagnées d’une doula durant leur grossesse. Une doula accompagne durant tout le processus de la grossesse sa patiente. Bien que le métier de doula nécessite une formation sur l’accouchement, la grossesse, l’allaitement ou encore les fausses couches, il ne s’agit pas d’un accompagnement médical mais plutôt psychologique.Feminisme

Là où les femmes risquent la prison pour avorter

Alice* est doula au Chili. Beaucoup de ses consoeurs avouent facilement aider à l’avortement. Mais Alice s’inquiète pour sa profession, qui commence à être stigmatisée par l’avortement : « Nous aidons certaines femmes à avorter mais c’est bien plus compliqué que cela en a l’air. Les doulas qui s’impliquent dans l’avortement le font pour accompagner les femmes, pour qu’elles ne se sentent plus seules dans ce processus difficile. » Selon Alice, les doulas ne se procurent pas de pilules abortives mais accompagnent les femmes dans leur avortement, en les mettant en contact avec associations féministes. Une doula écoute, console et guide.

Assister à des avortements a attisé la colère d’Alice. « Avorter n’a jamais été facile alors faire ça clandestinement c’est encore pire. Toutes les femmes n’ont pas forcément les contacts qu’il faut et si tu parles à la mauvaise personne tu peux être dénoncée à la police. » Une femme risque, en effet, jusqu’à 5 ans de prison si elle est reconnue coupable d’avortement. Pour la doula, ce contrôle sur le corps des femmes est une privation de la liberté qu’il faut urgemment changer. « C’est complètement stupide de penser que si l’avortement est illégal, il est inexistant. C’est dangereux et quel message cela donne-t-il aux femmes ? Je trouve ça profondément injuste. »

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